Razvan Macelar
Ploiesti, 1080- « Arrête-toi maintenant ! Je ne t'ai pas élevé comme ça ! »
Ivre de colère et dans un instinct de survie, Razvan se dégagea de l'étreinte de l'énorme main de son père et lui projeta le coude dans l'abdomen, celui-ci ne flancha pas et en toute réponse abats son énorme poing sur le visage du gamin.
Un os craque sous la violence de l'impact, et Razvan s’effondre de tout son long...
La douleur tira Razvan de son sommeil, il est chez lui, allongé sur la paillasse de son père, ce dernier est assis dans un coin de la pièce et observe l'enfant avec un regard oscillant entre la colère et le regret.
Remulus se leva d'un bond et se précipita vers son fils, ses grands yeux verts toisent l'enfant d'un regard sévère, Razvan soutient le regard avec l'impertinence qui lui est propre.
- « Qu'est-ce que je t'ai dit la dernière fois ?! Arrête de te créer des ennuis ! Pense un peu à ta mère, qu'est-ce qu'elle penserait de toi ?! »
L'évocation de Myrcella fit ressurgir la colère de Razvan, il frappa de toutes ses forces contre l'épaule de son père, le faisant presque basculer en arrière.
Calme toi fils ! Les gens ne cesseront jamais de parler d'elle ! Tu ne peux pas battre tous les gens qui racontent qu'elle était une sorcière ! Comme tu ne pourras jamais faire taire les rumeurs à ton sujet, tu as hérité de son don ! La prochaine fois que agis ainsi le vieil ours s'occuperas de toi ! Maintenant reposes toi et réfléchis à tes actes !
Remulus tourna les talons et quitta la maison, laissant le jeune homme à sa réflexion. De longues heures passèrent et le silence envahis la bâtisse, une fois de plus Remulus avait fui la discussion, laissant son fils seul.
Des bruits de grattement sur la porte sortirent l'enfant de sa semi-torpeur, aucun doute là-dessus, il s'agissait du chien errant qui traînait souvent près de la maison. Seul et unique véritable ami du gamin, le mâtin borgne venait chercher sa pitance auprès du seul humain dont il tolérait la présence.
Razvan avait toujours eu une certaine affinité avec les animaux, « ce don » comme l'appelait son père, lui viendrait de sa mère. Il serait source des folles rumeurs cité à demi-mot quand Remulus à le dos tourné.
D'un geste machinal le gamin réunit les quelques restes de la veille et les tends au chien qui les saisis avec une rare douceur. Puis pendant que le molosse se remplit la panse, Razvan commence à lui raconter sa journée, comme à chaque fois.
- «Ce fils de putain l'avait bien mérité ! J'l'ai entendu parler de mère, il disait qu'un certain « Dieu » l'avait puni pour ses pêchés, et que père était condamné à subir la présence d'un bâtard damné. » Le gamin marqua une pause, et le chien lui jeta un regard rapide de son seul œil valide, comme pour demander la suite de l'histoire. «Je l'est traqué, comme un lièvre hors de son terrier, si tu avais vu la peur dans ses yeux quand mon bâton s'est abattus sur sa jambe, j'paris qu'il pourra plus marcher correctement ! » Baissant les yeux « Mais père s'est encore fâché, et il m'a frappé pour ça... Il dit que si je continue, le vieil Ours s'occuperas de moi.... Je veut pas être dévoré par un ours... »
Les affrontements étaient fréquents, Razvan ne savait résoudre un conflit que par la violence, lors de ses premières années les gens lui prêtaient la fougue du feu, mais avec les années, ils le considéraient plus comme un enfant sauvage, une preuve de la malédiction frappant la famille Macelar,
La porte s'ouvrit et Remulus entra dans la pièce d'un pas lourd, l'échine du mâtin se redressa instantanément et il montrait ses crocs. Razvan posa doucement sa main sur la tête du chien, qui se calma rapidement avant de quitter la pièce, gardant toujours l'oeil sur Remulus.
Ce dernier se laissa choir sur une chaise, il semblait terriblement fatigué et plus âgé que jamais ce soir-là, d'habitude il est un homme qui inspire plus la peur que la pitié, sa carrure colossale fais de lui une force de la nature et une source de rumeurs plus folle les unes que les autres. Mais ce soir il était différent, son étrange tatouage, un trait rouge scindant son œil gauche en deux, était le seul vestige d'un visage d'ordinaire très dur.
Il n'avait jamais vu son père dans un tel état, et nul doute qu'il n'avait pas dû être ainsi depuis la mort de Myrcella, sa femme, décédée en couche à la naissance de Razvan.
Remulus n'avait jamais évoqué ça, mais les anciens du village racontent que le jeune veuf était parti la nuit même du drame, abandonnant son nouveau-né pendant deux longues années.
À son retour Remulus arborait cet étrange tatouage, et se mit immédiatement à la recherche de son fils. La famille de Myrcella avait entrepris l'éducation de Razvan, mais une dispute éclata entre eux et Remulus, s'en suivirent le départ précipité de la famille, engendrant ainsi une nouvelle vague de rumeur sordide.
Néanmoins, on prêtait à cette famille une réputation de sorcellerie, et que l'histoire soit véridique ou pas, Remulus obtient les bonnes grâces des villageois et repris sans mal son poste de veneur. Et aujourd'hui encore personne n'envisagerait de prendre sa place.
- «Razvan, sais tu ce qu'est le vieil ours ? »
L'enfant fit un simple non de la tête.
- « Le vieil ours est un ermite, un homme comme toi et moi, je le connais depuis mon enfance, il est un ami fiable et son grand âge le rend très sage, quand j'ai perdu ta mère il m'a apporté une aide sans faille. Je pense qu'il est temps pour toi de le rencontrer, je sais qu'il pourra t'aider à devenir un homme bien. Tu ne peut pas continuer de te comporter ainsi, comme une bête sauvage. »
Razvan observa son père un instant, légèrement étonné.
- « Tu crains sans doutes les légendes à son sujet, rassure-toi fils, mon père a lancé cette histoire, il y a des années et j'ai suivi ses pas. Maintenant va te coucher, demain nous partirons tôt ».
Légèrement perturbé, l'enfant acquiesça d'un signe de tête et se retira rapidement, de peur de voir son père s'emporter à nouveau.
Le lendemain matin, bien avant l'aube, Remulus et Razvan prirent la route en direction de la grotte du vieil ours, il fallait être discret car si les mauvaises langues les voyaient s'aventurer dans là-bas, leurs affaires empireraient.
Remulus ne décocha pas un mot pendant tout le trajet, une fois devant la grotte, il serra maladroitement son fils entre ses bras :
- « Fils promet moi que quoiqu'il arrives tu feras honneur à ton nom, et que tu ne reculeras devant aucune des épreuves. Promet le moi.
Un peu à regret, Ravzan acquiesça et pénétra dans la grotte, c'était sûrement la première fois de sa vie qu'il avait autant peur, mais par-dessus tout il ne voulait pas décevoir son père. Il s'aventura durant un long moment, dans des boyaux de pierre tortueux, l'odeur était fétide, mais il ne devait en aucun cas faire demi-tour.
Le dernier couloir donnait sur une large caverne, éclairé sommairement par quelques torches, un homme vêtu de haillons se tient assis au fond de la salle, semblant attendre l'enfant.
L'homme est extrêmement âgé, et rapidement un sentiment de crainte envahis les tripes de Razvan qui envisage de plus en plus la fuite.
« Oh le petit Chiot est venu plus rapidement que prévu ! Laisse moi te regarder, t'observer, tu ressembles tant à ton cher père, mais en plus fin, à ton âge ses épaules étaient plus larges. C'est donc à ça que ressemble une engeance de sorcière ?»
La colère submergea l'enfant, qui se jeta sur le vieillard, il avait bondi comme un félin, et le plaquait au sol, poing levé prêt à le frapper au visage. Le vieux restait impassible et fixait Razvan avec un léger rictus.
« Vas-y jeune chiot ! Tue moi ! J'ai déjà bien vécu, et je ne le regretterais pas... Mais toi par contre... Tu pense pouvoir vivre avec ce fardeau ?
L'enfant relâcha l'étreinte et s'écarta de l'ermite, d'un pas leste, il se dirigeait d'un pas leste vers la sortie de la caverne mais son élan fut arrêté net par le son et la douleur d'un fouet lacérant son dos, il s'écroula au sol sous la violence du coup.
La voix tremblotante du vieillard vint à son oreille :
- «Parole donnée doit toujours être respectée».
Razvan essaya de répondre, mais la douleur l'emporta et tandis qu'il perdait connaissance, il entendit la voix lointaine de l'ermite qui lui disait que tout se passerait bien s'il n'oubliait jamais cette leçon.
Les années ont passé et Razvan à maintenant quinze ans, il a quasiment atteint la taille de son père, mais reste plus élancé, son visage a minci, et il semble bien plus âgé. Seuls ses grands yeux verts trahissent son âge véritable. Ses premières années auprès du Vieil Ours lui ont valu beaucoup de coup de fouet et de brimades. Il avait tenté de fuir lors de certaines périodes de doute, mais à chaque fois il dû en payer le prix, et les cicatrices s'accumulaient rapidement. Néanmoins il comprit vite que l'apprentissage de l'ancien était bénéfique pour lui, loin des villageois, il pouvait exercer son don sans craindre les réactions. Et surtout il savait maintenant gérer sa colère. Parfois son père venait le voir, pour l'emmener à la chasse, ils arpentaient tout deux les forêts n'échangeant jamais de mots, mais cela suffisait à son bonheur
Le jour de ses quinze ans, Razvan fût réveillés par son père, il lui dit doucement qu'il était temps de passer la première épreuve.
Razvan se présenta à l'ermite, mis un genou à terre, comme l'exigeait celui qu'il appelait maintenant « Maître ». Dans une mimique singeant le pouvoir, le Vieil Ours fit signe à son élève de se relever.
- « Le premier pilier est celui de la puissance et de la discipline, tu aimais te battre, il est temps pour toi de me prouver que tu sais toujours le faire, mais fais le avec honneur sinon... »
À ces mots le vieillard fit le geste d'un coup de fouet, un geste que Razvan redoutait instinctivement.
- « Ton père sera ton adversaire, je veux voir qui entre le chien et l'ours l'emportera ! »
Malgré son âge Remulus gardait une certaine forme, il fit un rapide signe de tête à celui qui fût un temps son maître, et il ôta sa chemise.
Razvan profita de l'attention détourner de son père, et voulant impressionner son maître se rua sur père, le fouet pénétrant sa chair interrompit net sa course et il s'affala au sol.
- « Si tu combats sans honneur, tu périras sans honneur ! Remulus, je te laisse lui enseigner cette leçon ! »
Remulus s’exécuta et frappa son fils d'un violent coup de pied dans les côtes qui le firent rouler dans la poussière.
Razran se releva péniblement, grimaçant sous la douleur de ses côtes sans doute fracturé.
- « Vas-y fils, fais honneur à ton nom ! Et rend ta mère fière de toi ! »
Un pugilat d'une grande violence s'en suivit, si Razvan avait l'avantage de la jeunesse, Remulus faisait preuve d'une grande habilitée martiale. L'ermite allait et venait entre cette pièce et le couloir, il regardait le combat, toujours d'un œil distrait.
À un moment d'inattention, Razvan se plaça mal et son père l'accueillis avec un sévère coup à l'oeil droit, il s'écroula avec violence, et un voile rouge s'installa sur œil.
Reprenant son souffle, il aperçut le Vieil Ours qui lui tendait un couteau légèrement sculpté, il le saisit, avant de le jeter loin de lui.
- « Plutôt mourir que gagner avec déshonneur.»
Il cracha par terre, et se jeta dans un dernier élan sur son père qui l'esquiva sans grande peine avec un léger pas de côté...
À son réveil, son œil droit était poché, ses côtes, son dos lui faisait mal, et il ressentait une vive douleur au niveau de l'oeil gauche, comme un trait qui semblerait scinder son œil de haut en bas.
Le poignard que lui avait tendu l'ermite était planté dans une bûche non loin de lui, il le saisi et se regarda dans le reflet de la lame.
Il faisait peine à voir, mais n'était pas peu fier de son tatouage, il ressemblait un peu plus à son père maintenant, mais avec quelques années en moins.
Le Vieil Ours fit son entrée à ce moment-là.
- « Beau combat, jeune chien, tu es le digne fils de Remulus, je suis fier de toi, et ce tatouage est là pour te prouver ta valeur, n'oublie jamais qu'il représente cinq longues années d'apprentissages. Je peut encore t'apprendre beaucoup de choses, mais le choix est tiens, comme ton père en son temps, tu peux choisir de rester ici ou bien de reprendre le cours de ta vie. Je te laisse le temps de la réflexion. Si tu restes ici sache les piliers sont au nombres de trois et que le prochain est celui de la connaissance et de l'esprit.
Âgé de presque vingt ans, Razvan a continué son apprentissage auprès de son Maître, celui-ci lui a appris à lire et à écrire les langues locales et le latin. Mais également certains rites et savoir païen.
Contrairement aux cinq précédentes années, celle-ci sont paisible, des heures durant les deux hommes resteront à discuter d'histoire et de légende, pour le plus grand plaisir du jeune homme.
Le jour de ses vingt ans, il ni eu pas de cérémonie, à son réveil Razvan trouva la caverne vide, seul le vieux poignard est planté sur la table en bois de la pièce de vie épinglant une courte lettre en latin :
Razvan,
Le temps est venu pour moi de me retirer, le temps a fait son œuvre, et je ne serais bientôt plus de ce monde, je t'ai enseigné tout ce que mon père m'avait enseigné, tu as réussi sans difficulté le second pilier, tu trouveras ici de quoi t'apposer la marque.
Le poignard est un cadeau pour toi, ton père m'a raconté ton amitié avec le chien, savais-tu qu'il est un mâtin ? Ces fiers molosses étaient utilisé à Rome pour les jeux du cirque, aussi j'ai pris la liberté de te faire graver cette lame.
Le troisième pilier est celui de l'expérience et de l'âme. Le seul moyen de l'apprendre est de vivre, retourne vivre auprès des hommes et quand tu sauras appliqué ce que tu as appris avec moi tu seras digne de cette marque.
Garde ce repère secret et maintient la légende, ainsi je continuerais de vivre éternellement.
À bientôt mon ami.
Le Vieil Ours.Razvan plia doucement la lettre, avant d'y mettre le feu, il resta ainsi pendant quelques minutes à contempler le dernier vestige de feu son maître.
Réunissant ses quelques affaires, il quitta la grotte et rejoins Ploiesti.
Le village avait grandement changé depuis son dernier passage, il y a de ça dix ans.
Les villageois saluèrent son arrivée, la plupart d'entre eux ne le connaissaient visiblement pas, mais il reconnaissait en lui les yeux de leur bien-aimé Veneur, Remulus, et cela leur suffisait visiblement.
Remulus n'était pas non plus épargné par le temps, et Razvan travailla à ses côtés jusqu'à ce que la mort l'emporte, deux ans plus tard.
Quand ce jour arriva, il mit son père en terre lui-même, au plus profond de la forêt, en suivant les rites que le Vieil Ours lui avait enseignés.
Une fois rentré chez lui, il fit annoncer la terrible nouvelle et repris le poste de son père.
Sa première action fût de s'apposer le troisième pilier, puis il entreprit de maintenir la légende, enseignant au villageois qui le souhaite les secrets de la nature, et les légendes de la région.
Un soir alors qu'il rentrait chez lui après une dure journée de labeur dans la forêt, Razvan trouva sa porte à demi ouverte, il dégaina son poignard et rentra doucement dans la maisonnée.
Une jeune femme visiblement blessée s'y trouvait, elle semblait chercher quelque chose avec précipitation. Elle se retourna instinctivement quand la porte grinça, et sortie de sa ceinture un petit couteau, prête à se défendre. Razvan la dépassait aisément de plus de deux têtes, mais la jeune femme ne se démontait pas, malgré sa blessure au flanc gauche qui la faisait vaciller, elle restait fière. Elle regarda rapidement l'homme et son visage s'illumina quand elle vis son poignard.
- «Doucement matin ! Je ne suis pas ton ennemi ! Je...Aidez moi...Je... »
Elle ne put terminer sa phrase, une pierre traversa la fenêtre et vint la frapper à la tempe.
Razvan sortis de la maison en courant, partant ainsi à la poursuite du tireur, il le trouva sans grande difficulté, l'homme était visiblement un homme du peuple, la panique le pris quand il vit son colossal poursuivant, mais il se fit rapidement à l'idée, son assaillant ayant l'avantage de la taille et du terrain, il ne pourrait pas fuir éternellement, il se laissa donc tomber au sol et entrepris de négocier sa survie.
- « Je vous en prie, je n'ai rien fais de mal, c'est qu'une sorcière, une catin dévouée à Satan ».
Razvan, surplomba l'homme, il semblait maintenant si pitoyable, à ramper sur le dos, s'écorchant bras et dos sur les branchages. Profitant de la lumière de la lune, il se pencha sur le pauvre bougre et le regarda de ses grands yeux verts.
- « Quel Dieu autoriserait l'attaque d'une jeune femme blessée ? »
- « Oh mon Dieu ! Vous êtes avec elle ! Pitié seigneur, je vous ai toujours bien servis ! »
L'homme se confondait en gémissement et pleurs à l'égard de son Dieu, Razvan le prit de pitié, et se détourna de lui, le danger était sans aucun doute écarté, et un tel homme ne survivrait pas à une nuit en forêt, la nature se chargera de lui. Il entreprit donc un retour dans sa maisonnée, il avait une invitée à accueillir.
Une vive douleur lui tirailla la cuisse droite, un petit coutelas y était planté et l'homme s'y accrochait comme un beau diable, tentant vainement d'amplifier la blessure.
Razvan décocha un large coup de poing au visage de son agresseur, le nez céda net sous l'impact et le souvenir de Remulus vint à l'esprit du jeune homme, provoquant ainsi un léger sourire.
Il laissa son agresseur sans connaissance à la merci de la nature, citant au passage le Vieil Ours :
- «Si tu agis comme un animal, t'étonne pas de mourir comme tel ».
Razvan fût soulagé de voir que la jeune femme était toujours en vie, et il l'installa sur sa couche, essayant tant bien que mal de nettoyer sa blessure. Si le Vieil Ours lui avait appris beaucoup de choses, le soin n'en faisait malheureusement pas partie. La blessure à la tête saignait beaucoup mais était assez peu profonde, par contre celle qu'elle arborait au flanc était nettement plus inquiétante, sûrement dû à un couteau, elle était profonde et Razvan ne voyait pas comment soigner ça.
Une seule solution s'imposait, allez quérir la guérisseuse de Ploiesti, elle était assez loin, mais il n'avait guère le choix, et si son âge avancé l’empêchait de venir, sa fille le pourrait sûrement.
À contre-coeur Razvan laissa son invité et parti à toute hâte dans le village, d'habitude il aimait le calme inhérent à l'heure tardive, mais là son esprit était trop pré-occupé par l'urgence.
Il frappa la porte de son énorme poing, faisant trembler le bois et aboyer les chiens aux alentours.
Une jeune femme à demi-éveillée entrouvrit la porte, Razvan la connaissait de nom uniquement, elle était la fille de la guérisseuse, Ioana.
- «Désolé pour l'heure tardive, mais j'ai besoin d'aide...une jeune femme blessée...je paierais cher...très cher ».
Ioana acquiesça du chef, fit signe au colosse qu'il devait attendre et referma la porte.
Razvan se rendit compte qu'il n'avait ni chariot ni cheval pour escorter la guérisseuse à son domicile. Regardant rapidement aux alentours, il vit les bêtes du forgeron.
Il s'approcha doucement de la plus vaillante, la bête ne pris pas peur, il lui caressa la tête doucement et lui expliqua qu'il avait besoin d'elle, avant de monter à cru.
Razvan remercia mille fois la nature pour son don, après des débuts un peu difficiles la monture devint rapidement docile et il put la sortir de son enclos.
Il récupéra ainsi la guérisseuse, et tous deux retournèrent à la maisonnée.
Ioana semblait plutôt confiante quant à la blessure, selon elle sa vie n'était pas en jeu, au fond de lui Razvan se sentait soulagé, il observait avec attention les actions de la guérisseuse, tentant de retenir les manœuvres afin de pouvoir les faire à son tour. Qu'importe l'identité de son invité, elle semblait avoir des ennemis, et il devait éviter au possible de l'exposer.
Au bout de deux longues heures, Ioana avait fini sa tâche, Razvan lui donna ses quelques économies, des vivres pour plusieurs jours et plusieurs peaux d'animaux, il n'avait aucune idée de la valeur d'un tel service, mais ce paiement lui semblait correct.
Il raccompagna ensuite Ioana, ne manquant pas de la remercier et s'assura de son silence quant à son invité. Le cheval fut également remercié et repris sa place dans l'enclos.
Razvan terminait cette éprouvante nuit pas un retour rapide dans sa demeure, une fois sur place, il s'installa une couchette de fortune avec des peaux de bête abîmé et s'endormit instantanément.
Le soleil matinal sur son visage le tira violemment d'un sommeil de plomb, son corps était meurtris mais il avait connu bien pire situation dans sa jeunesse. Son invité dormait toujours, et son front était maintenant moins chaud. Qui pouvait elle être ? Elle l'avait appelé « matin », connaissait elle le Vieil Ours ? Ou bien c'était elle juste inspiré du poignard ? Et pourquoi chez lui ?
Les questions ne cessaient d'abonder, il s'approcha d'elle et commença à nettoyer sa plaie avec de l'eau fraîche, comme la guérisseuse l'avait fait hier soir.
Écartant les longs cheveux de la femme, Razvan dévoila un visage juvénile, le gris de ses cheveux contrastait grandement avec la jeunesse de son visage.
Pendant qu'il nettoyait le sang séché, un doute vint à l'esprit de Razvan, et si l'homme d'hier soir avait réussi à s'échapper ? Il reviendrait sans doute mieux préparé et elle serait en danger.
Il partit donc sur ses propres traces, la recherche fût rapide et fructueuse, une fois de plus la nature avait entendu son appel, il ne restait de l'homme qu'un cadavre déchiqueté par les loups. Razvan se sentit soulager et retourna chez lui.
A son retour la jeune blessée avait repris connaissance, elle était assise sur la couche, et écrivait d'un geste rapide dans un petit livre recouvert de cuir. Son visage s'illumina quand il entra dans la pièce.
- «Ah ! Mon sauveur ! Je savais que vous rentriez tôt ou tard. En guise de premier remerciement laissez-moi me présenter, je suis Livia Lupesco, fille de Dragomir Lupesco »
- «Appelez-moi Matin, vu que c'est sous ce nom que vous me connaissez ».
- « Je préfère Razvan Macelar, fils de Remulus et Myrcella Macelar, mais trève de mondanité. Vous m'avez sauvé la vie, et je dois maintenant sauver la vôtre.»
- « Qu... »
- « Votre jambe, cette blessure n'est pas belle à voir et il m'est avis que vous auriez dû vous en occuper bien avant ».
Le souvenir de l'agression de la veille revient à l'esprit de Razvan, et la douleur avec, le couteau n'avait pas entamé profondément la chair, mais la longue nuit n’arrangeait pas la plaie.
Elle s'occupa de sa blessure durant plusieurs longue minute, usant de technique étrangère à Razvan. Il a bien essayé d'observer pour apprendre, mais elle s'arrangeait toujours pour qu'il ne puisse pas voir, usant de ruse et de charmes.
Il n'était pas mal à l'aise avec les femmes d'ordinaire, bien qu'il ne soit pas un grand charmeur, comme toute personne de son age, il a connu des amourettes mais rien qui aient mené à une quelconque relation à long terme, et c'était sûrement mieux ainsi.
Mais elle le mettait mal à l'aise, ses yeux couleurs olive et ses longs cheveux gris lui disait qu'elle était spéciale, et quand elle minaudait, n'hésitant pas à le narguer, l'appelant Matin, et louant sa puissance, Razvan préféra fermer les yeux et la laisser finir son travail au plus vite.
La vie repris doucement son cours à Ploeisti, les blessures de l'un et de l'autre se remettaient doucement, et Livia ne semblait pas encore prête à quitter son protecteur. Au début il trouvait la situation gênante, mais à force il n'envisagerait plus de la laisser partir, elle était sa protégée, et quand elle partirait, il se devrait de l'accompagner afin que personne n'attente à sa vie.
La journée, il partait, chassant et travaillant pour leur assurer la survie, mais il ne s'éloignait jamais trop de la maison, de crainte qu'on vienne s'en prendre à sa protégée.
Le soir, il discutait longuement, mais jamais d'eux, les rares fois où ils essayaient d'évoquer le sujet, elle reprenait ce petit air narquois qui agaçait Razvan, et minaudait pour mettre le colosse mal à l'aise, provoquant bien souvent la fin de la discussion.
La nuit, elle occupait toujours la seule et unique couche, et lui continuait de dormir à même le sol, ça lui rappelait ses années d'ascète, et c'était agréable.
Un matin, alors que le soleil pointait timidement ses rayons sur la région, Razvan s'éveilla et remarque immédiatement l'absence de Livia, elle avait laissé un message vaguement griffonné sur un morceau bois.
Mon cher Matin,
Je suis parti, si tu me retrouves tu pourras m'accompagner jusqu'à Bucarest, mon père aimerait sûrement te rencontrer, et dans le cas contraire, qui sait ce qui pourrait m'arriver...
Le bois s'écrasa sous la pression de la main de Razvan, il ramassa son poignard à la hâte et sortis de la maison sans tarder.
«Tu pars bien vite mon ami, mon absence était si difficile à supporter ? Je ne serais pas parti sans toi de toute façon ».
Livia se tenait assise sur une souche d'arbre, regardant Razvan avec un sourire moqueur, ses yeux pétillant de malice, elle regarda le colosse de haut en bas et fi la moue :
- «Par contre, tu ferais mieux de t'habiller si tu arrives à Bucarest en braie, on risque de te prendre pour un manant, et mon père pourrait se faire des idées quant à la préservation de ma pureté. »
Malgré les provocations de Livia, il se sentait soulagé de la voir et de la savoir en sécurité. Il prépara sommairement un paquetage et entrepris le plus long voyage de sa vie, un voyage vers une cité dont il ignorait tout : Bucarest.
Mais il n'avait pas peur, il protégera Livia quoi qu'il en coûte. Et ce jusqu'au bout du voyage.
Livia Lupesco